Je sais, je n'ai pas donné beaucoup de nouvelles, ce mois-ci. J'étais en vadrouille d'Andorre en Belgique, en passant par la côte Ouest et figurez-vous que la plupart de mes amis ne disposent pas de scanner.
J'ai quand même continué à gribouiller dans mon carnet au point de... le terminer !
Vous ne vous en êtes donc pas rendu compte mais, de mon côté, j'en suis à mon deuxième carnet de dessin de ma vie.
Ceci est une démonstration de l'effet Kouletchov. Sans qu'il n'y ait vraiment de lien entre les deux images, le spectateur liera automatiquement la réaction des personnages bâclés (oui, oui, j'avoue, je les ai bâclés) à la blague foirée vis-à-vis de leur pote.
Une autre image à la place de la dernière et l'effet aurait été différent.
Pour la seconde, si Bastien n’a pas maculé le goudron, ni le pare-choc du poids lourd, de son sang, de morceaux de cervelles dégoulinantes, d’intestins, de dents et de petits morceaux d’os, offrant un spectacle, macabre certes, mais pour le moins haut en couleurs, c’est parce qu’il se trouve dans le camion.
On reprend.
Il se trouve à travers le camion. Il est rentré dedans comme on rentre dans un courant d’air et il a fermé les yeux. S’il les ouvrait, il verrait certainement les particules qui composent la structure de l’engin comme de grosses bulles d’huile blanche en suspension dans l’air. D’ailleurs, le voilà qui les ouvre. Juste le temps de distinguer des bouteilles de Coca, cargaison que transporte le véhicule.
Pendant une seconde et demi, Bastien est en immersion dans l’appareil. Il se coupe du Monde. Il se crée sa petite mort. La sueur froide parcourt encore son dos alors que le camion est déjà loin derrière. Il sent sont palpitant porter son nom. Son sourire, fixé sur son visage, lui donne les traits d’un dément.
Bastien n’est pas fou. Pas plus que ne l’est un parachutiste, un sauteur à l’élastique, un enfant qui affronte ses frayeurs dans le noir. Bastien a rejoint le clan récemment créé des similisuicidaires. Non seulement, le nom sonne bien, mais surtout, ils sont de plus en plus nombreux à tester cette expérience gratuite de faire comme s’ils allaient se faire rentrer dedans par un véhicule.
Cette passion neuve est issue de la mise en service d’une de ces nouvelles technologies que seul l’avenir connaît bien. Un modulateur de fréquence qui permet de n’avoir jamais plus de collision, de ne plus pouvoir rayer la carrosserie du véhicule de son prochain et, à terme, de ne plus se rencontrer.
L’appareil se module sur dix puissance vingt quatre possibilités de fréquence. De plus, si un véhicule enregistré sur la même fréquence est détecté dans un rayon de dix kilomètres, le modulateur change automatiquement sa fréquence en moins d’un centième de seconde pour une autre qui n’est pas détectée dans ledit rayon. Bien sûr, l’opération de changement de fréquence ne s’opère pas tant que deux éléments se juxtaposent.
Aucun risque d’accident.
Au début, la majorité des conducteurs peinaient à rentrer dans les voitures des autres. C’est dur psychologiquement de voir quelque chose – même d’impalpable – et de rentrer dedans sans changer sa vitesse. Aux dires de la majorité d’entre eux : « Ca fout les pétoches. »
On a rapidement réglé ce détail pour faire en sorte que les véhicules axés sur d’autres fréquences puissent devenir invisible pour les autres fréquences. A dire vrai, le gros du travail avait été fait en les rendant impalpables. L’invisibilité n’est qu’une formalité au même titre que l’ajout de la voix sur un GPS pour les années 2000.
Aucun risque de rencontre.
L’invention s’est démocratisée rapidement. Plus jamais on eut d’embouteillages ni de soucis pour se garer. Les voitures avaient presque toutes opté pour la fonction « invisibilité ». Pas de contact, pas d’emmerde disaient les moins bien élevés, ceux qui furent mieux élevés le disaient ou le pensaient en d’autres termes.
Seuls les routiers conservaient en majorité le fait d’être visibles. C’est que la solitude au quotidien est pesante et, aussi dérisoire cela puisse paraître, un regard de reconnaissance d’un collègue de temps en temps, ça permettait de garder un soupçon de moral.
Ce soupçon repart généralement quand des enculés comme Bastien se mettent sur leur chemin, simulant leur suicide, le sourire triste mais satisfait. Les plus pétochards, parmi les routiers, ont opté pour l’invisibilité. Les autres, ceux qui ont besoin de se raccrocher à un regard, il leur reste le cynisme. Ils passent outre ces fausses morts. C’est exactement ce qu’ils font. Au sens sale et défiguré.
Tout ceci n’est que le début. L’invention changea la face du Monde et les valeurs de ses habitant. D'autres chapitres appuieront mes propos.
Fin.
NDLR : Souvent, quand je suis allongé sur le dos, j'ai l'impression que je perds mon sang. C'est une sensation étrange, un brin enivrante. Pas vraiment rassurante, je vous l'accorde. Mais je m'y suis fait. C'est ma manière de simuler ma mort, j'imagine.
Aujourd'hui, le dessin primera moins que le texte. Vous voilà prévenus.
Une photo prise lors d'un crépuscule toulousain. J'ai une petite série de ces photos en contrejour qui finissent par toutes se ressembler mais - que voulez-vous ? - je les trouve intéressantes.
Un avenir proche - première partie
Un jour d’hiver, dans un futur à peine plus loin qu’après demain. Bastien est sur le bord de l’autoroute. Elle est déserte. C’est surprenant pour un après-midi. Bastien fait un pas. Il est brun, au fait, bien que ça ne serve pas mon propos. Il a l’air mélancolique, ce garçon brun quelque peu métrosexuel. Microsoft Word 2008 ne connaît pas le mot métrosexuel. Le correcteur de Firefox non plus. Wikipédia en donne une définition. Grand bien lui fasse.
Reprenons.
Bastien est un jeune homme brun qui semble se préoccuper de son apparence bien qu’il s’en défende. Il estime faire le strict minimum histoire d’être présentable. Ca se voit d’ailleurs, à sa chemise pas repassée, débraillée, même. Ca donne un côté faux négligé, classe naturelle. C’est vrai qu’il est assez mal rasé. Mais ça lui va bien, quand même. L’enculé.
Reprenons.
Nous sommes dans un futur proche, par un froid après-midi d’hiver, cet enculé de Bastien est sur le bord d’une autoroute qui semble particulièrement peu fréquentée. Il a le regard vague, Bastien, quand il se perd dans ses pensées. Ca lui arrive. Pas constamment, tout juste fréquemment. Il se décroche des conversations qui perdent de leur intérêt au fur et à mesure que les mots s’accumulent. Il s’abîme souvent – pas au sens propre, n’y ajoutez point de lame, de feu ou de jus de citron ; dites-vous qu’il s’abîme comme s’abîmait Siddhârta – quand il est seul.
Comme tout le monde, il pense, quoi.
Comme beaucoup, il se perd dans ses pensées. Elles ne sont pas des phrases, ou de vagues esquisses sans majuscule ni point. Il s’abîme et s’enlise dans un coton insaisissable.
Reprenons, s’il vous plaît.
Il vous plaît ? C’est surprenant. Il ne se passe pourtant pas grand chose à ce stade de l’histoire. Nous en sommes au trois cent dixième mot à la fin de cette phrase. Il ne s’est rien passé, pourtant, à ce moment de l’histoire. A dire vrai, il ne va pas se passer grand chose dans cette histoire. Notre personnage va s’avancer sur cette autoroute qui semble déserte. Il va se mettre en plein milieu de la voie. Et il va attendre.
Au loin, apparaît un camion. Un mastodonte de la route. Beau comme ce qu’il est. Neutre, surtout. Il roule à vive allure. Dans le futur que je vous décris, les camions ne sont plus limités à 80-90 kilomètres heure. Il y a une raison à cela, alors laissez-moi poursuivre, s’il vous plaît. Il y a le jeune homme et il y a le camion. L’un se trouve sur le chemin de l’autre. Comme dans une tragédie grecque, la rencontre est inéluctable.
Attardons-nous à peine sur le chauffeur routier. Disons que ce n’est pas un mauvais bougre, qu’il fait bien son boulot et qu’il ne s’appelle pas Fernand. Disons surtout qu’il a vu le garçon sur son chemin. Il l’a vu et il ne ralentit pas, il ne sourcille pas. Il réagit exactement comme s’il n’y avait personne sur cette autoroute. Bref, il ne réagit pas. Hubris seul sait pourquoi.
Le temps que nous avons passé à ne pas décrire notre chauffeur routier et son absence de réaction, le camion est déjà sur Bastien. Il garde les yeux bien ouverts, il écarte les bras, il se concentre sur ses yeux. Le camion le percute de plein fouet.
Stop.
Je n’ai pas dit « Fin ». J’ai dit « Stop ».
Le camion le percute de plein fouet mais il n’y a pas de choc. La seule véritable violence se situe dans le fait que Bastien n’a pas su garder les yeux ouverts. Vous admettrez que ça reste une forme acceptable de violence.
J'aime les histoires, les lire mais surtout les raconter.
Ma résolution 2009 : Apprendre à dessiner. Ca ne veut pas dire que je ne dessinais pas avant. On a tous gribouillé deux trois trucs dans une marge quand le prof était rébarbatif.
Mais voilà, j'ai décidé d'approfondir mes gribouillis en espérant pouvoir être vraiment satisfait de mes dessins.
J'aime ces médias qui me permettent de raconter des histoires de différentes manières.