jeudi 10 décembre 2009

La sociabilité, ça mouille les pieds

Notre histoire commence un vendredi 13. Pensant que la superstition porte surtout malheur aux superstitieux, je préférais ne pas trop le noter, laissant aux chutes diverses de la journée la possibilité de n’être qu’un excès de maladresse.

Le vendredi étant ce qu’il est, la veille d’un jour de grasse matinée, je voulais profiter de la soirée pour goûter l’interaction avec les camarades d’école. Les camarades étant ce qu’ils sont, l’ébauche de soirée s’acheva à 23h30, me laissant à mon envie de prolonger ma nightlife Marseillaise. Grand bien me fasse, je m’en allais rencontrer de nouvelles gens.

J’ignorai un groupe conséquent de stéréotypes de skateurs pour rejoindre trois types qui buvaient tranquillement leurs bières à côté des fontaines du Cours Julien.

« Une bière ?
- Boah, je viens surtout gratter la discussion.
- Ok. Une bière ?
- D’accord. »

Je sympathise avec Louis, Luc et Yvan. Echanges classiques des « tu fais quoi dans la vie » à « fais gaffe à Marseille, c’est tranquille jusqu’à ce qu’il t’arrive quelque chose. » Banalités sociales qui permettent de nous découvrir un peu.

Luc va pisser. Trois mecs arrivent, l’accoutrement du lascar par excellence: baskets, casquette, survet’. Ils nous proposent de nous vendre des produits illicites. En honnêtes citoyens que nous sommes, on refuse la proposition. Pendant qu’ils insistent, l’un fait tomber une barrette. C’est le moment que choisit Luc pour revenir et éconduire les dealers. Il se prend la tête avec ce qui semble être le meneur. L’un des potes du caïd prend une de nos bouteilles vides pour la lui passer.

Guerre froide. On demande à ce que le mec lâche sa bouteille. Des claques commencent à fuser. Puis le coup de bouteille que tout le monde craignait. Partant de là, ça dégénère. Deux de mes nouveaux camarades tentent d’arracher la bouteille tandis que les coups s’échangent avec violence.

Je compose le 17.

« Commissariat de Noailles, quelle est la raison de votre appel ?
- Bonsoir ! Il y a un pugilat au Cours Julien !
- Un quoi ?
- Un pugilat.
- Euh… ?
- Une baston !
- Ah, fallait le dire, à quel endroit ?
- Devant le Bicok, 57 Cours Julien.
- Le Bangkok ?
- Non, Bicok ! Comme une bicoque !
- Ouais, j’connais pas.
- …
- …
- Vous êtes encore là ?
- Oui, oui, j’écris.
- Il y a un mec qui commence à saigner, ce serait bien que vous puissiez intervenir rapidement. »
Pendant la discussion, la baston s’est déplacée plus loin, Luc est méchamment entaillé à coups de tesson de bouteille. Ils s’éloignent tous, je reste près des affaires sur lesquelles deux types lorgnent avec insistance.

Je ramasse la barrette de shit et la file à un passant. La soirée ne sera pas perdue pour tout le monde.

Le caïd revient, se dirige vers moi.
« Hey, j’y suis pour rien, moi !
- Ah t’y es pour rien ?
Il brandit sa bouteille tranchante vers moi.
- Tu sautes dans la fontaine où je te plante. »
Mon grand père a quitté le Vietnam pendant la guerre, ma grand-mère a fui la Turquie pendant le génocide. Je n’hésitai donc pas une seconde à sauter à pieds joints dans l’eau froide des fontaines du Cours Julien.

Je ressors, deux mecs sur un scooter m’interpellent :
« Hey, tu vas porter plainte ?
- Boaf, j’suis entier. J’ai rien de cassé. Et l’eau n’est pas si froide que ça. »

J’ai zappé un bout de l’altercation. On me relate que le caïd est reparti chercher une barre de fer, qu'un de ses potes en scooter a renversé Luc.

La BAC arrive, en voiture et sans phare. De vrais cow-boys. L’arrestation est aussi musclée que l’agression. Le caïd est menotté au sol quand je retrouve tout ce beau monde. Luc est assis par terre, il se réchauffe comme il peut dans son blouson. Il hésite à porter plainte. On lui explique que s’il ne le fait pas, ce sont les lascars qui s’en chargeront.

Yvan sort son téléphone :
« Bon, ben, c’est un bon prétexte pour garder contact. C’est quoi ton numéro ? »

lundi 7 décembre 2009

Pile ou face avec une pièce de 2000€

J’ai envie de partir.

Ca ne fait pas longtemps que cette question me trotte dans la tête. En fait, c’est arrivé avec une mauvaise nouvelle : « Vous n’êtes pas habilité à recevoir l’aide financière du Conseil Général, à moins de prouver que vous avez validé votre année précédente. »
Bon, je n’ai pas validé mon année précédente. Notamment parce que j’ai passé un concours pour une école de cinéma. C’est pas rien, une école. C’est mieux qu’une fac où l’on ne jure que par des théoriciens aux noms plus inquiétants les uns que les autres.

Bref, je vais tenter un recours. Je lance la pièce. Pile je pars, face, je reste.

Qu’est-ce qui me permet de parier ? Mon boulot. Ce petit boulot qui semblait ne pas payer de mine. 2,5€ l’article de cinq lignes, qui me rapporte 450€ quand je bosse au minimum.

Ce boulot qui est le job dont je n’aurais même pas imaginé rêver, qui ne devait être qu’un job d’été, qui s’étend un peu après, qui pourrait finalement durer des années.

Il m’apporte tout ce que je peux rechercher : le voyage, l’écriture, la photographie et même la vidéo.

Face au petit boulot : l’école. Elle mène à un stage, elle enseigne des notions de tournage, de montage et de son, elle est professionnalisante.

Cela dit, une profession, c’est aussi professionnalisant. Si on me garde alors que je fais des petits articles sans grand talent, pourquoi ne pas me lancer alors pleinement pour écrire des articles dont je pourrai être fier ?

« Oui, mais s’ils n’ont plus besoin de toi, ils te jetteront. Tu seras sur le cul à l’autre bout du Monde. »

Ok, c’est probable. Après, ça ne tient qu’à moi de me rendre indispensable. Si je rédige de supers articles, si je me rends indispensable, pourquoi me jetteraient-ils ? Ils sont quand même en train de me garder en temps de crise ! Puis, tant que j’ai ce job, pourquoi ne pas en profiter pour gagner beaucoup d’argent dès le début. Ecrire assez d’articles pour gagner des 2000€ mensuels, mettre de côté, vivre sans loyer, sans facture dans des pays où la vie est bon marché.

Je mise tout sur le lancer de pièce.

Pile, ma bourse ne tombe pas, j’estime n’avoir pas assez d’argent pour finir mon année scolaire et je pars vivre ma vie de voyageur.
Face, ma bourse tombe, j’ai de quoi vivre jusqu’à la fin de l’année. Je continue et vois la nouvelle donne.

La pièce est lancée.

Je crois qu'elle est truquée.